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Collection: Avec Natalia Kim

Mon Quartier, paru en mars 2020 aux éditions des Syrtes 


 

 

GLOBE : "Pour commencer, pourriez-vous résumer en quelques mots, pour nos lecteurs français, l'atmosphère si particulière des komounalki, qui est sous-jacente dans votre ouvrage ?"

Natalia Kim: "La base de mon livre n'est pas vraiment un appartement communautaire, ce n'est qu'un arrière-plan. Moi-même je vivais dans un appartement séparé - le seul de notre immeuble. Ces maisons, dites "staliniennes", ont été construites en 1954-1957 par des prisonniers de guerre allemands. Dans nos appartements il y a un maximum de 3 pièces, dans chaque pièce il y avait une famille, la cuisine - pas plus de 8 mètres carrés - était commune, il y avait un poêle pour tous , mais chacun avait son propre petit meuble à tiroirs ou sa propre table. Les réfrigérateurs étaient dans les chambres ou dans le couloir, chaque famille avait le sien. La salle de bains et les toilettes étaient également communes. Les voisins se mettaient d'accord sur qui et quand nettoyait les "parties communes", lavait les sols du couloir, les lavabos, chacun son tour. Le matin, lorsque tout le monde était pressé d'aller à l'école ou au travail, bien sûr, il y avait des escarmouches parce que quelqu'un se lavait trop longtemps ou occupait trop longtemps les toilettes. Mais nos appartements communautaires d'Avtozavod ne sont qu'un petit exemple, j'ai vu des appartements communautaires, dans le centre-ville, où il y avait 15-20 familles, même à deux étages. Où il y avait une cuisine gigantesque, une rangée de lavabos avec robinets (comme dans l'armée soviétique), tout le monde allait aux toilettes avec sa propre lunette de toilette. Un véritable immense appartement communautaire est une ville entière à l'intérieur de l'appartement, avec ses résidents, ses relations, ses jours fériés et ses conflits sans fin. Lorsque ma grand-mère a quitté le camp où elle est restée pendant 8 ans en tant qu'épouse d'un « traître à la Patrie » (son mari, un traducteur coréen, a été exécuté en tant qu'espion japonais et elle a été condamnée à 8 ans de camps), elle a reçu une chambre dans un appartement communautaire de 3 chambres. Dans l’une d'elle vivait une femme qui, comme ma grand-mère, avait traversé les camps, et dans l'autre, il y avait une stalinienne endiablée dont le mari avait été impliqué dans l'exécution de prisonniers. Elle a tenu les deux anciennes pensionnaires des camps dans une peur terrible, menaçant tout le temps de les dénoncer pour quoi que ce soit. Dans mon enfance, j'ai vu principalement des appartements collectifs où vivaient des gens qui travaillaient à l'usine ZIL ou dans les magasins environnants ou au marché, avec leurs enfants, j'allais à l'école ou jouais dans la cour. Mais l'essentiel de mon livre n'est pas la vie communautaire, c'est juste l'arrière-plan. L'essentiel pour moi, ce sont les gens et les destins, tout le reste n'est que décor. Pour se représenter ce qu'est un appartement communautaire soviétique, le meilleur moyen, c’est de regarder cet extrait du film de Valery Todorovsky «Hipsters»" : https://www.youtube.com/watch?v=TyGOf0jdOoQ

 

GLOBE: "Vous n'évoquez directement votre enfance dans le fameux quartier Avtozavod que dans les premières pages de votre livre, pour mieux rester dans l'ombre des histoires de vos personnages hauts en couleurs : pourquoi vous éclipser ?"

Natalia Kim: "Il est très difficile de dire que mon quartier est «fameux», il n'est pas plus fameux que les autres, chaque pâté de maisons a sa propre grande histoire. J'ai écrit sur ces gens, parce que je les connaissais ou j’ai raconté leurs histoires comme je m'en souvenais. Quand j'en ai parlé, je n'ai pas pensé où était le "je". Il était important pour moi de tout raconter tel que c'était, ou plutôt, comme je m’en souvenais, je n'ai en quelque sorte jamais pensé à mon propre rôle."

 

GLOBE: "Ces personnes que vous décrivez sont de véritables personnages littéraires : on peut citer par exemple la « compagnie aux airs boulgakoviens » qui vous a rendu visite un soir, ou les deux sœurs surnommées « Par-ci » et « Par-là », sans en dire plus. La réalité dépasse-t-elle vraiment la fiction, ou bien aviez-vous une âme de romancière dès votre plus jeune âge ?"

Natalia Kim: 'J'aime vraiment la phrase - malheureusement, je ne me souviens pas qui a dit ça - "la vie est beaucoup plus riche que la fiction". Il est beaucoup plus difficile d'inventer une intrigue, des héros, leurs relations, que de décrire ce que vous connaissez bien. Je n’ai fait que décrire. L'aspect «artistique» est une autre question. Bien sûr, je ne me souviens pas littéralement de TOUTES les répliques, par exemple, de l'histoire de cette «compagnie aux airs boulgakoviens», mais je me souviens encore de beaucoup et, surtout, de l'atmosphère générale, pour la description de laquelle j'ai cherché à trouver les meilleurs mots. Je n'ai jamais rien écrit "pour moi-même" avant mes 40 ans, et je n'ai jamais imaginé que j'écrirais un jour un livre. Et que quelqu'un soit intéressé à traduire mes textes dans une autre langue - pour moi c'est toujours un peu fantastique. Mon tout premier livre se compose de mes publications sur Facebook, que j'ai juste rassemblé dans un manuscrit. Ce sont les lecteurs de mon blog qui ont insisté là-dessus, encouragés par le soutien et les critiques positives d'auteurs tels que Dina Rubina et Lyudmila Petrushevskaya, je me suis jetée à l’eau, et suis devenue écrivain."

 

GLOBE: "Vos voisins d'aujourd'hui sont-ils aussi fascinants que ceux des années 1980 ? Pourriez-vous en faire un autre livre ?"

 Natalia Kim: "Beaucoup de choses ont changé dans notre quartier, il n'y a presque plus d'appartements communautaires, les appartements ont été achetés par de nouveaux locataires. Le quartier est devenu respectable à sa manière, le logement y coûte cher. Les riches achètent des appartements et effectuent des réparations coûteuses. Par exemple, un chanteur très populaire vit dans la même entrée que moi, il est souvent le héros de divers faits divers au parfum de scandale. Il a aussi un appartement au centre-ville, « de prestige », mais dans notre immeuble il a son propre « terrier », où il reste quand il ne veut pas attirer l'attention de la presse. Je m'intéresse aux gens par principe, peu importe s'ils vivent à côté, qu'ils vivaient alors ou qu'ils vivent maintenant. Je ne suis plus intéressée à écrire un nouveau livre sur notre quartier, car j'ai déjà dit tout ce que je voulais dire sur lui et ses habitants."

 

GLOBE: "Vous dites que presque toutes les personnes dont vous parlez dans votre livre ont disparu. Si ce n'est pas pour elles, pour qui écrivez-vous ?"

Natalia Kim: "Tout d'abord, j'ai écrit pour moi, ma famille et mes amis, et deuxièmement pour mon public sur Facebook, où mes textes sont lus par des gens qui me plaisent, qui aiment ce que j'écris, ce n'est pas qu'ils louent tous mon talent - pas du tout, mais parmi eux je me sens en sécurité. J'ai très peur de «toucher un large public», il m'a été difficile de donner des interviews à la télévision et à la radio, j'ai l'impression que cela arrive à quelqu’un d'autre. Je n'ai presque rien fait - j'ai juste écrit pour le plaisir. Mon deuxième livre n'est pas aussi réussi que le premier, mais il m'est très cher - il y a très peu de choses sur « Avtozavod », mais il y a un certain nombre d'histoires qui ont submergées mon âme et ma mémoire, et quand j'ai écrit à leur sujet, je me suis séparée d’elle avec soulagement . Bien sûr, la façon dont mes textes sont perçus ne m’est pas indifférente, mais tout d'abord, par des gens que je connais personnellement et dont  l’opinion compte - mon père, mes enfants et mes amis proches. Mon expérience montre que, très souvent, les lecteurs voient quelque chose de complètement différent de ce que vous avez essayé de dire, ils n'entendent pas du tout l'intonation avec laquelle vous avez écrit. Cela vire parfois à l'absurdité quand, par exemple, on m'a accusée d'arrogance envers mes héros, on a écrit qu'il était clair que je les méprise et que j'étais une personne froide et sans âme qui n'aime pas les gens en principe. Je voulais courir vers les blogs de ces critiques et crier - attendez, vous avez mal compris, je vais tout vous expliquer maintenant !!! Mais c'est stupide, car les critiques - et les lecteurs - n'ont besoin d'aucune de vos explications, ils voient ce qu'ils voient ou veulent voir. Argumenter est inutile, impossible de prouver quelque chose, pas nécessaire de perdre du temps pour ça et de la force mentale. Lorsque vous avez écrit un livre, il part en voyage, seul, et vous ne pouvez plus rien influencer, vous ne pouvez plus protéger vos héros ou vous-même. Et en fait, ce n’est pas nécessaire..."

 

 

 

 

 

 

ГЛОБ : "Для начала, не могли бы вы в нескольких словах обобщить для наших французских читателей особую атмосферу коммуналки, которая лежит в основе вашей книги ?"

Наталья Ким: " В основе моей книги всё-таки в первую очередь лежит не «коммуналка», это только фон. Я сама жила в отдельной квартире — единственной в нашем доме. Эти дома, так называемые «сталинские», были построены пленными немцами в 54-57 годах, в наших квартирах максимум по 3 комнаты, в каждой комнате жила одна семья, кухня — не больше 8 квадратных метров — общая, там была одна плита на всех, но у каждого своя тумбочка с посудой или свой столик. Холодильники были либо в комнатах, либо в коридоре, у каждой семьи свой. Ванная и туалет тоже общие. Соседи договаривались о том, кто когда убирает «места общего пользования», моет полы в коридоре и сантехнику, устанавливалась очередь. Утром, когда все спешили в школу и на работу, конечно, случались стычки из-за того, что кто-то слишком долго моется в ванной или сидит в туалете. Но наши автозаводские коммуналки — это лишь маленький пример, я видела коммунальные квартиры в центре города, где было по 15-20 семей, даже двухэтажные, там была гигантская кухня, ряд умывальников с кранами (как в Советской Армии), в туалет каждый ходил со своим сиденьем для унитаза. Настоящая огромная коммуналка — это целый город внутри квартиры, со своими жителями, отношениями, общими праздниками и бесконечными конфликтами. Когда моя бабушка вышла из лагеря, где сидела 8 лет как жена изменника Родины (ее муж, кореец, переводчик, был расстрелян как японский шпион, а она 8 лет отбывала в лагере), ей дали комнату в коммуналке из 3 комнат. В одной жила такая же как и моя бабушка женщина, которая прошла лагерь, а в другой — оголтелая сталинистка, чей муж когда-то занимался расстрелами заключенных. Она держала двух бывших лагерниц в ужасном страхе, все время грозилась написать на них донос за что-нибудь. В моем же детстве я видела в основном коммуналки, где жили люди, работавшие на заводе ЗИЛ или в окрестных магазинах или на рынке, с их детьми я училась в школе или играла во дворе. Но главное в моей книге — не про коммунальный быт, это только фон. Главное для меня — люди и судьбы, все остальное только декорации. Лучше всего можно представить себе, что такое советская коммуналка, если посмотреть этот отрывок из фильма Валерия Тодоровского «Стиляги», быт воспроизведен очень хорошо": https://www.youtube.com/watch?v=TyGOf0jdOoQ

 

ГЛОБ : "Вы только прямо говорите о своем детстве в знаменитом Автозаводском районе только на первых страницах своей книги, чтобы лучше оставаться в тени историй ваших красочных персонажей: зачем остаться в стороне?"     

Наталья Ким: "Мой район очень трудно назвать «знаменитым», он не более знаменит, чем другие, у каждого городского квартала своя большая история. Я писала о тех людях, которых я знала или пересказывала их истории так, как запомнила. Когда я об этом рассказывала, то совершенно не задумывалась о том, где там «я», в стороне я или не в стороне. Мне важно было рассказать всё, как было или, скорей, как я помню, а о своей роли как-то не задумывалась."

 

ГЛОБ: "Эти люди, которых вы описываете, являются настоящими литературными персонажами: мы можем процитировать, например, «компанию с булгаковским видом», которая посетила вас однажды вечером, или двух сестер по прозвищу «туда »  и «  сюда», и тд. Действительно ли реальность выходит за рамки выдумки, или у вас была душа писателя с ранних лет?"

Наталья Ким: "Мне очень нравится фраза — к сожалению, не помню, кто сказал - «жизнь гораздо богаче вымысла». Гораздо труднее придумать какой-то сюжет, героев, их отношения, чем описать то, что хорошо знаешь. Я только описывала. Насколько это «художественно» выглядит — это вопрос. Конечно, я не помню дословно ВСЕ реплики, например, из истории о той «булгаковской компании», но все равно много запомнила и,  главное, общую атмосферу, для описания которой у меня нашлись нужные слова. Я никогда ничего не писала «для себя» до 40 лет и в жизни не представляла, что когда-нибудь напишу книгу, и вторую, и  и что кому-то будет интересно перевести мои тексты на другой язык — для меня до сих пор это фантастика какая-то. Вся моя первая книга состоит из моих постов в фейсбуке, мне осталось только их собрать в одну рукопись — и получилась книга, на этом настояли читатели моего блога, ободренная их поддержкой и положительными отзывами таких писателей, как Дина Рубина и Людмила Петрушевская, я пустилась в это плавание и внезапно оказалась писателем."

 

ГЛОБ: "Ваши соседи сегодня так же увлекательны, как и жители 1980-х годов? Не могли бы вы сделать из нее еще одну книгу?"  

Наталья Ким: "Многое изменилось в нашем районе, уже почти не осталось тех самых коммуналок, квартиры выкупили новые жильцы. Район стал по-своему респектабельным, жилье здесь стоит дорого. Квартиры покупают состоятельные люди и делают дорогой ремонт. Например, в моем подъезде живет очень популярный певец, часто герой разных скандальных передач. У него есть еще квартира в центре, «парадная», но в нашем доме у него своя «нора», где он отсиживается, когда не хочет внимания прессы. Мне интересны люди в принципе, неважно, живут ли они по соседству, жили тогда или живут теперь. Писать новую книгу про наш район мне уже не интересно, потому что всё, что я хотела рассказать о нем и о его жителях, я уже рассказала."

 

ГЛОБ : " Вы говорите, что почти все, о ком вы говорите в своей книге, исчезли. Если не для них, для кого вы пишете?"

Наталья Ким: "В первую очередь я писала для себя, моей семьи и друзей, во вторую — для своей аудитории в фейсбуке, где мои тексты читают симпатичные мне люди, которым нравится то, что я пишу, дело не в том, что они все меня только хвалят — совсем нет, но среди них я чувствую себя в безопасности. Меня очень пугает «выход на большую аудиторию», мне трудно было давать интервью на телевидении и радио, такое ощущение, будто это всё не со мной происходит. Я же ничего не сделала почти — просто писала для удовольствия. Моя вторая книга не такая успешная как первая, но мне она очень дорога — там совсем мало про «Автозавод», но есть ряд сюжетов и историй, которые переполняли мои душу и память, и когда я об этом написала — я с ними рассталась с облегчением. Конечно, мне не всё равно, как воспринимают мои тексты, но в первую очередь это относится к людям, которых я знаю лично и чьим мнением дорожу — мой отец, дети и близкие друзья. Мой опыт показывает, что очень часто читатели видят совершенно не то, о чем ты пытаешься поговорить, слышат совсем не ту интонацию, с которой ты писал. Доходило до абсурда, когда меня, например, обвиняли в высокомерии по отношению к моим героям, писали, что видно, как я их презираю и что я холодный бездушный человек, который не любит людей в принципе. Мне хотелось бежать в блоги к этим критикам и кричать — подождите, вы все неправильно поняли, я сейчас вам все объясню!!! Но это глупо, потому что критикам — да и читателям — не нужны никакие твои объяснения, они видят то, что видят или хотят видеть. Спорить — бесполезно, что-то доказывать — не нужно на это тратить время и душевные силы. Когда ты написал книгу — она отправляется в самостоятельное плавание, и ты уже ни на что не можешь повлиять, защитить своих героев или себя. Да и не нужно это."

 

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